Humanisme spirituel et globalisation (Madrid, 15.09.2019)

Conference de SE Métropolite Serafim, soutenue aux Rencontre de la Communauté de Sant Egidio, Madrid 15 septembre 2019 (Thème générale : Paix sans frontières : Religions et Cultures en dialogue)

Je suis très heureux de participer à cette Rencontre organisée par la Communauté de Sant Egidio ici à Madrid et de prendre la parole à cette table ronde sur l’humanisme spirituel et la globalisation. À la Communauté de Sant Egidio me lie une amitié de plus de trente ans. J’ai beaucoup appris pendant toutes ces années en participant à de nombreuses rencontres comme celle-ci ainsi qu’à des rencontres à Rome entre prêtres et évêques proches de la Communauté. En rencontrant à ses occasions hommes et femmes de différentes confessions et religions mon cœur s’est élargi chaque fois et en moi s’est éveillé de plus en plus un esprit d’unité de l’humanité dont parlent les Pères de l’Église ancienne. Ces Pères disent que chaque personne humaine récapitule en elle, plus précisément dans son cœur, toute l’humanité et toute la création. Et cela parce que l’homme créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu » récapitule en lui tout ce qui existe, toute la création. Si nous avons Dieu dans notre cœur, présent par ses énergies incréées, nous avons aussi sa création, l’univers entier et ceux qui l’habitent : les humains, les animaux, les plantes, les minéraux. Tout vit en nous ! Ce n’est pas du panthéisme, car nous ne confondons pas Dieu et la création. Dieu est totalement différent de sa création, mai il n’est pas séparé d’elle. « Dieu est tout en tous » (I Corinther 15, 28), comme dit l’apôtre Paul. Il est la profondeur insondable de tout être et de toute chose. C’est un grand mystère que seulement les hommes de foi peuvent approcher.

Dans l’état de péché nous ne pouvons pas sentir et vivre cette unité ineffable, car le péché divise notre cœur, le sépare de Dieu et de sa création. Et le péché par excellence est l’égoïsme ! L’égoïsme refuse la communion avec les autres, enferme l’homme en lui même, pétrifie son cœur et le fait insensible aux autres. L’égoïste ne voit que ses propres intérêts et envie les autres pour leur succès. Il voit dans les autres des ennemis contre lesquels il lutte pour les détruire ou pour profiter d’eux. L’égoïste ne peut pas admettre la différence confessionnelle ou religieuse, culturelle ou de race. Il veut que tous soient comme lui. L’égoïsme appartient à la nature humaine déchue. Nos ancêtres Adam et Eve ont refusé la communion avec Dieu et, par voie de conséquence, ils ont détruit les relations entre eux-mêmes. Par envie, Caïn tue son frère Abel et depuis-là la tuerie entre frères n’a pas cessé ! Et nous sommes tous héritiers d’Adam et Eve et aussi de Caïn ! C’est pourquoi nous avons tous à lutter contre le démon de l’égoïsme.

L’égoïsme ne peut être vaincu que par la prière et le jeûne. Prière et jeûne, comme dit le Christ (cf. Matthieu 17, 21), chassent les démons et nous unissent à Dieu et à nos semblables. Une vieille femme de Roumanie, presqu’illettrée, mais très pieuse et habituée à la prière continuelle et au jeûne, lorsque son neveu, docteur en théologie, lui demande ce qu’elle sent quand elle prie, elle lui répond : « je sens que mon cœur se dilate et il comprend en lui tous les humains, les animaux, les plantes ; tout ce qui existe m’est cher » ! Une femme vraiment sainte, comme tant de femmes et d’hommes à travers le monde !

Mais prier n’est pas toujours facile. Les démons haïssent la prière et font tout pour nous en empêcher. Lorsque nous voulons prier, ils nous suggèrent que d’autres choses sont plus importantes que la prière. Si nous commençons pourtant à prier, ils nous dispersent les pensées pour que l’esprit s’ennuie de la prière. Ainsi l’intellect, qui est une énergie du cœur, s’éparpille dans les choses du monde et ne descend pas dans son lieu d’origine, le cœur, où se trouve Dieu pour avoir la paix. Prier, c’est une véritable ascèse ! Il faut s’efforcer de prier jusqu’à ce que la prière devienne une véritable joie ! Il n’y a rien de plus important dans ce monde que de prier. Car c’est la prière qui tient le monde et pacifie les cœurs ! L’ascèse de la prière doit se joindre à l’ascèse du jeûne, c’est-à-dire à une vie simple et modérée en tout. À l’esprit de consommation spécifique des sociétés modernes, surtout occidentales, on doit opposer un esprit de modération et de partage avec les pauvres. Nous savons que la prière et le service aux pauvres représentent les poumons de la Communauté de Sant Egidio. L’engagement de la Communauté à travers le monde au service des plus démunis est impressionnant ! Aussi son engagement pour la paix dans le monde ! Le professeur Andrea Ricardi, fondateur de la Communauté, répète toujours qu’il n’y a pas de paix sans justice sociale, sans un équilibre entre riches et pauvres. Mais cet immense désidérata n’est possible que par la conversion des cœurs. Ici les religions trouvent toute leur importance. Toute religion – à condition qu’elle ne soit pas pervertie par l’idéologie qui crée des fondamentalismes, par les nationalismes qui l’enferment dans un groupe ethnique ou par la politique qui l’asservit à ses intérêts – est un facteur de paix car la religion s’adresse aux cœurs, les aidant à trouver la paix. Et c’est la paix intérieure de chaque être humain qui pacifie le monde.

L’humanisme spirituel et la globalisation dont nous parlons ici sont justement cette communion des cœurs pacifiés qui fait que chacun se retrouve dans l’autre, que chacun dépend des autres et s’enrichit par eux. Nul n’est suffisant à lui-même. Tous ont besoin de tous. Et tous sont responsables pour tous. L’humanité est un immense organisme où chaque être humain est membre doué de talents et de fonctions spécifiques qu’il doit mettre au service de tous. Et le sang de cet organisme est l’amour. C’est la loi de l’amour qui gouverne l’univers, car notre Dieu est un Dieu d’amour !

L’humanisme spirituel n’est pas l’humanisme de la Renaissance et du siècle des lumières qui propage l’autonomie de l’homme, même par rapport à Dieu, son Créateur. Nous voyons de nos jours les conséquences de cet humanisme qui enchaine la liberté de l’homme et le fait esclave de ses propres hallucinations. Souvent, aujourd’hui, on prend l’asservissement aux éléments de la nature, à l’argent, aux passions charnelles comme liberté.  Beaucoup n’ont plus le sens du péché et croient que tout est permis, que la liberté signifie « faire ce qu’on veut », même au détriment de sa propre nature et des autres ; se conduire selon ses propres plaisirs. Ils oublient que la liberté de chacun s’arrête devant la liberté de l’autre. Ils ignorent que la liberté qui nous libère vraiment est de ne pas pouvoir faire le mal, ni à soi-même, ni aux autres, ni à l’environnement. Il n’y a pas de liberté sans Dieu. Sans Dieu, il n’y a que de l’esclavage ! Bien sûr, en tant qu’hommes et femmes de religions nous respectons la liberté de chacun, même si elle n’est pas la vraie liberté. Dieu lui-même respecte la liberté de chacun, tell qu’elle est. Il arrive souvent que dans notre vie même de croyants la liberté soit souvent assujettie à l’esclavage. C’est un processus difficile, durant la vie, pour retrouver la vraie liberté et la garder pour toujours.

En guise de conclusion je dirais que pour être vraiment humain, nous devons redécouvrir notre nature authentique qui nous relie à Dieu, à l’humanité et à la création.

 

Métropolite Serafim

Madrid, 15 septembre, 2019